Nous avons traduit une interview publiée en janvier 2023 sur la chaine youtube Pastor’s Heart. Le pasteur australien Dominic Steele s’entretient avec ses deux invités sur les lacunes majeures du monde évangélique dans son engagement face aux catholiques romains. Leonardo De Chirico est à l’avant-garde de la formation théologique des évangéliques dans ce domaine au niveau international depuis plus d’une décennie. Il est implanteur d’églises, pasteur à Rome et directeur de l’Initiative Reformanda, qui vise à équiper les dirigeants évangéliques pour mieux comprendre et s’engager dans le catholicisme romain. Auteur de plusieurs livres, il a notamment publié en 2021 « Same Words, different Worlds » [Mêmes mots, des mondes différents : les catholiques romains et les évangéliques croient-ils au même évangile ?]. Rachel Ciano, donne des conférences sur l’histoire de l’Église au Sydney Missionary and Bible College et s’intéresse profondément à ce sujet.
Dominic Steele : Merci de nous rejoindre ! « Mêmes mots, des mondes différents », comment atteindre les catholiques romains avec Leonardo de Chirico et Rachel Ciano. La plupart d’entre nous, pasteurs évangéliques, collèges théologiques, en fait même l’ensemble de l’évangélisme, nous avons un angle mort en ce qui concerne le catholicisme romain dans notre théologie, notre missiologie et notre pratique. C’est ce que dit Léonard de Chirico. Où, en tant qu’évangéliques, commettons-nous des erreurs dans notre engagement auprès du monde catholique romain ? Que pouvons-nous changer ? Faut-il changer ? Comment pouvons-nous aider nos amis catholiques romains à établir une relation personnelle de salut avec Jésus-Christ ? Léonard de Chirico est parmi nous, il est en Australie pour prendre la parole lors des différentes conférences missionnaires organisées en janvier par la Church Missionary Society. Il est à l’avant-garde de la formation théologique des évangéliques dans ce domaine depuis une décennie, il est implanteur d’églises, pasteur à Rome et directeur de l’Initiative Reformanda. Également avec nous Rachel Ciano : elle enseigne l’histoire de l’Église au collège missionnaire et biblique de Sydney et s’intéresse particulièrement depuis longtemps à ce sujet. Leonardo, merci d’être venu et Rachel, merci d’être venue! Permettez-moi de commencer avec vous, Leonardo De Chirico, et avec votre cœur de pasteur pour le catholique romain.
Léonardo de Chirico : Je suis italien et j’ai exercé mon ministère en Italie et en Europe toute ma vie. J’ai rencontré des milliers de voisins, de collègues et d’étudiants et la plupart d’entre eux vivent et respirent le catholicisme romain dans leur vie. Et j’ai vu beaucoup d’entre eux, sinon la majorité d’entre eux, ne pas saisir la vérité fondamentale de l’Évangile, celle-ci s’exprimant dans une religiosité qui obscurcit souvent l’Évangile, voire le déforme. D’où ma compassion et mon désir de voir l’Évangile briller dans la vie de ces gens qui ont été tellement influencés par les traditions, les enseignements, les pratiques de l’église catholique romaine. Et en voyageant à l’étranger, j’ai vu le même défi à l’échelle mondiale. Ce n’est pas seulement une histoire italo-européenne; si vous allez en Amérique latine, si vous allez dans beaucoup de pays différents, voire partout dans le monde, c’est la même réalité : le catholicisme romain au mieux obscurcit l’Évangile, au pire il le déforme. Et donc il y a un besoin de ressentir de la compassion, d’avoir le désir que l’Évangile soit clairement présenté sous sa forme biblique et avec un cœur chrétien.
Un faux évangile
Dominic Steele : « Au mieux cela obscurcit l’Évangile, au pire cela le déforme », disiez-vous. Je me demande : Avons-nous affaire à un cas « Galates 1 »1 (c’est un faux évangile) ou bien à un cas « Philippiens 1 »2 (c’est un vrai évangile mais prêché avec de mauvais motifs) ? Qu’en pensez-vous ?
Léonardo de Chirico : Je pense qu’en ce qui concerne le système… car le catholicisme romain est un système, ce n’est pas seulement un ensemble de doctrines et de pratiques isolées, mais c’est un système doctrinal et dévotionnel théologique bien conçu, qui façonne des cultures entières et s’adapte à différentes cultures, afin de prendre une forme catholique distincte. Le système est plutôt un cas de « Galates 1 » qui, délibérément et intentionnellement, s’est construit, non pas sur le fondement d’un engagement envers l’Écriture seule, envers le Christ seul, mais qui a été construit au fil des siècles sur de multiples engagements. Et ça a finalement abouti à une sorte de récit de type galate « Évangile +… » qui, en termes d’Évangile lui-même, n’équivaut à aucun évangile du tout. Je veux dire que l’Évangile est fait de telle manière que si vous y ajoutez quelque chose, vous le niez en réalité, et vous proposez un autre type d’évangile. Au niveau des vies individuelles, c’est davantage, je pense, le cas d’un scénario « Philippiens 1 ». Il y a bien sûr des catholiques individuels qui croient au Christ mais je dirais : malgré le fait qu’ils sont des catholiques convaincus et non parce qu’ils sont des catholiques convaincus. Ils choisissent ce qui fait leur affaire, et par la grâce de Dieu, pour certains d’entre eux, ils choisissent de concentrer leur vie sur Christ seul et ils font confiance à Christ seul pour leur salut et leur vie. Mais ce n’est pas ce que l’église [catholique] leur apprend à faire : ils le font malgré elle, pas à cause d’elle.
Les différences minimisées
Dominic Steele : Je pense à moi qui ai grandi en tant que catholique romain et qui ai ensuite compris la grâce, et donc je suis immédiatement d’accord avec ce que vous venez de dire mais – et c’est là que je veux vous amener, Rachel – je vois tellement d’amis pasteurs qui sont évangéliques, qui ont grandi dans l’Église évangélique et qui veulent minimiser les différences entre le catholicisme romain et l’évangélisme. Avez-vous la même vision et la même frustration ?
Rachel Ciano : Oui absolument ! Ainsi, dans mon travail au SMBC, dans la formation des gens pour le ministère, dans le travail pastoral à Marrickville, avec les amis et les membres de la famille, on minimise la différence et cela peut se faire de plusieurs manières : dire que nous sommes d’accord sur le credo de Nicée ; dire que nous sommes d’accord sur les deux tiers du catéchisme catholique romain, donc ça suffit ; dire que Rome évolue dans une direction différente au cours des 50, 60, 70 dernières années après Vatican II, donc ça suffit ; regarder le « catholicisme évangélique », mais ne pas comprendre ce que signifie le mot évangélique dans ce contexte, car ce n’est pas du tout la façon dont nous utilisons le mot… Donc tous ces arguments proviennent, je pense, d’un bon cœur : nous aimerions que ces catholiques soient sauvés et parfois, lorsqu’on minimise la différence, c’est à cause de ce désir de croire qu’« ils comprennent sûrement l’Évangile ». Mais en réalité, quand vous regardez sous la surface, quand vous allez aux racines, c’est un évangile très différent, c’est un évangile de Galates 1, et donc ils ont besoin d’entendre le message de la foi seule en Christ seul.
Des mots identiques, des significations différentes
Dominic Steele : Alors… juste pour reprendre ce que Rachel vient de dire là, Leonardo, « les mêmes mots, mais un sens différent », vous avez beaucoup écrit là-dessus…
Léonardo de Chirico : Oui, et c’est ce qui se passe réellement : le vocabulaire est le même, à part quelques termes spécifiques catholiques introduits dans la tradition catholique… par exemple, la transsubstantiation ou l’Immaculée Conception de Marie : ce ne sont pas des termes bibliques ou chrétiens, ce sont des termes catholiques. Mais pour autant qu’on le sache, pour les 90 % du vocabulaire concerné, les mots sont les mêmes : péché, grâce, croix, Jésus, évangile, salut, foi et espérance et nous pourrions continuer encore et encore. Le problème est qu’ils sont entendus d’une manière très différente parce que leur signification n’est pas tirée de la Bible en tant qu’autorité ultime, en tant qu’autorité ultime et interprète ultime d’elle-même. Le sens [pour les termes catholiques] est le résultat d’un processus historique complexe dans lequel le sens biblique a été brouillé avec d’autres sens et n’a pas été fondé sur les seules Écritures en tant qu’autorité ultime. Le résultat est une combinaison de choses qui fait que pour chaque mot, mis en relation avec un autre, tout le sens de la foi chrétienne est détourné et il devient tout à fait différent. Il ne s’agit donc pas d’un seul mot, mais de tous les mots, et le résultat est effectivement quelque chose de différent.
Un système qui se comprend comme un tout, mais des fidèles qui « picorent »
Dominic Steele : Vous dites que vous voulez qu’on comprenne ce tout et le tout inclut la doctrine, l’institution, l’histoire, la culture… c’est un grand projet pour en arriver là !
Léonardo de Chirico : Oui, oui, et c’est parce que c’est ainsi que le catholicisme s’est compris au fil des années : non pas comme une option religieuse du type « on choisit ce qui nous convient » mais comme un tout intégré. Ce n’est donc pas que nous voulions le voir de l’extérieur dans son ensemble, mais parce que le catholicisme se voit lui-même dans son ensemble. Il est donc juste d’essayer de l’aborder dans ses propres termes et d’avoir ensuite des lentilles spirituelles théologiques pour le lire. Et donc, du point de vue doctrinal, tout cela fait partie d’un tout intégré.
Dominic Steele : Et pourtant, Rachel, la plupart des catholiques romains sont des catholiques qui choisissent ce qui leur conviennent ou qui « picorent». Ce n’est pas qu’ils adoptent tout cela,… alors comment pouvons-nous interagir avec eux, comment interagir avec la personne qui « picore » ?
Rachel Ciano : Eh bien, la personne moyenne que je rencontre à Marrickville… oui, j’ai beaucoup d’amis catholiques et des membres de ma famille, des voisins…
Dominic Steele : C’est vraiment votre entourage…
Rachel : Oui, oui, et donc j’essaie plusieurs choses avec eux, parce que l’une des choses difficiles dans le système catholique, c’est qu’il n’est pas fondé uniquement sur l’Écriture. [Dans la perspective du catholicisme], l’Écriture contient la Parole de Dieu mais elle ne représente pas toutes les paroles de Dieu. Je vais donc essayer de travailler, très lentement, dans la prière, leur confiance dans la Parole de Dieu. Alors je propose de lire la Bible avec mes amis catholiques ou bien d’en parler avec eux…
Dominic Steele : Quelle partie de la Bible ? Où allez-vous ?
Rachel Ciano : Cela dépend de ce dont ils veulent parler, donc avec certains de mes amis….
Dominic Steele : Vous êtes enseignante au Collège théologique, vous êtes une pointure dans ce domaine, bien sûr vous savez vous adapter, mais si quelqu’un ici nous regarde et se dit : Moi, je ne sais pas exactement quoi faire, quelle est votre règle ?
Rachel Ciano : Ce n’est pas un argument théologique complexe, mais je suppose que ce que je veux faire, c’est 1. amener leurs yeux sur la Parole de Dieu, et 2. pour de nombreux catholiques romains, Jésus est très distant, très lointain, c’est pourquoi il est accessible par Marie. Son Fils l’écoute et elle lui apportera vos demandes. Donc, si je peux présenter Jésus comme celui qui est proche, par son Esprit qui habite les croyants, alors c’est très attrayant. Ainsi, par exemple, avec des amis très dévoués à Marie dans leurs pratiques, je les emmènerai dans l’histoire des noces de Cana et pendant que nous parlons de cette histoire, je dirai à la fin : Écoute, Marie a dit : « Écoutez mon Fils, faites tout ce qu’il vous dira de faire ». Alors je dis : si je veux respecter Marie, – et c’est ce que nous faisons-, je dois l’écouter, et elle, elle me dit d’écouter son Fils. D’autre part, Marie, dans ce système, est protégée du péché originel du fait de son Immaculée Conception, et elle est assumée corporellement à l’approche de la mort, donc en réalité elle est très déconnectée de ma vie quotidienne dans ce système, elle ne comprend pas toute l’intensité de la tentation du péché, elle ne comprend pas la pleine agonie de la mort. Jésus, lui, comprend parfaitement les deux. Alors quand je suis dans le besoin, j’ai besoin de Jésus, il est tellement plus attirant ! Donc je pense que c’est ce que je fais, j’essaie de démontrer dans les Écritures l’attractivité de Jésus, et en me rappelant que c’est une conversation. Ce n’est pas moi qui « balance » la Bible, c’est une conversation. Et l’autre chose que je fais avec mes amis, parents et voisins catholiques, c’est que je prie avec eux parce que, pour eux, la prière se limite souvent à un espace et à une heure définis. Donc si nous avons une conversation, s’ils partagent quelque chose de difficile dans leur vie, là dans leur cuisine même, je dis : Puis-je prier pour vous maintenant à ce sujet ? Et c’est une occasion merveilleusement émouvante pour eux de voir la foi en action. C’est en fait profondément théologique : ici et maintenant, nous disons que nous avons accès au Père, nous n’avons pas besoin de la hiérarchie des Saints. C’est juste cette simple tâche de prier pour eux dans leur cuisine, en partageant que nous pouvons avoir accès à Dieu par le Christ.
Aller aux Écritures
Dominic Steele : Qu’enseignez-vous, Leonardo, par rapport au fait d’emmener les catholiques aux Écritures ?
Léonardo de Chirico : Cela varie selon les contextes et les situations, mais j’ai remarqué que l’Évangile de Matthieu est un évangile qui résonne auprès du lecteur catholique moyen, car nous y trouvons Jésus s’adressant à un public juif ou à un contexte juif et dans cette perspective selon laquelle, pour être reçu par Dieu, vous devez vous conformer à la Loi de Moïse et faire de bonnes œuvres, etc. Et donc là, Jésus parle de l’Évangile en disant qu’il est le nouveau Moïse et qu’il est l’accomplissement de la Loi et que nous devons recevoir son œuvre et y répondre. Donc comme évangile, Matthieu semble être un bon point de départ, non pas pour une conversation occasionnelle mais plutôt pour une série de conversations intentionnelles.
La défaite des évangéliques
Dominic Steele : Leonardo, je vous ai entendu dire que nous, évangéliques, avons vraiment raté notre engagement auprès des catholiques romains, que nous pourrions faire plus, que les collèges théologiques devraient faire plus, que c’est un angle mort majeur pour nous. Pouvez-vous simplement nous lancer cet appel ?
Léonardo de Chirico : Eh bien, il y a 1,3 milliards de catholiques dans le monde, on les retrouve partout du nord au sud, d’ouest en est, et c’est de loin la plus grande institution religieuse au monde. Et elle est très engagée dans le travail « missionnaire » ainsi que le domaine culturel, le domaine politique, les médias, etc., et aussi avec ses problèmes et ses tensions bien sûr, mais c’est comme si on ne la voyait pas. Nous sommes très intéressés par toutes sortes de questions, de défis et de sujets différents et c’est bien, nous devons le faire, nous devons nous intéresser à tous ces sujets. Mais quand il s’agit de l’Église catholique, c’est comme si nous savions déjà de quoi il s’agit, c’est hors de notre radar. Et pourtant, si nous ne nous en occupons pas intentionnellement, d’une manière théologiquement responsable, l’Église catholique, elle, s’occupe de nous : elle essaie de se positionner de manière à nous inclure dans ses tentatives post-Vatican II pour englober, absorber, attirer les évangéliques (et pas seulement les évangéliques), dans une catholicité diffuse.
Le syncrétisme catholique
Dominic Steele : Vous en parlez : le catholicisme est-il syncrétique ?
Léonardo de Chirico : Oui, et c’est par nature parce que catholique veut dire « universel », et la manière catholique d’être catholique est d’être catholique romain. Donc ce n’est pas du syncrétisme dans sa forme pure mais c’est un syncrétisme de type catholique, c’est un syncrétisme de type romain, parce qu’il essaie toujours de mettre le syncrétisme dans les structures romaines, dans le dogme romain, dans l’Église hiérarchique romaine et ainsi de suite. Et donc par exemple le catholicisme latino-américain est syncrétique parce qu’il a absorbé des pratiques pré-chrétiennes et non chrétiennes et les a mises dans cette forme catholique romaine. La même chose vaut pour l’Europe, l’Afrique et l’Australie. C’est donc un syncrétisme catholique, mais pas au détriment du fait qu’il soit romain. Et le génie du catholicisme romain a toujours été de maintenir la tension entre le « romain » et le « catholique », l’aspect de la centralité romaine et l’intention syncrétiste, et de maintenir les deux dans une tension telle que ça ne casse pas, ça n’explose pas et ça n’en fait pas non plus un système statique. Cette tension est dynamique bien qu’elle ne soit pas fluide, elle est conçue de manière à maintenir à la fois le souffle catholique (l’absorption, le syncrétisme) et la structure romaine centrée autour des principes hiérarchiques et des institutions de l’Église.
« Catholique » et « romain »
Dominic Steele : Diriez-vous (à cause de votre terminologie) que Benoît était plus romain et que François est plus catholique ?
Léonardo de Chirico : Oui, ce sont deux exemples clairs des manières différentes de gérer la tension. Le système n’est pas statique, donc ils ne le dupliquent pas, mais en fonction de différents défis, différentes situations, contextes et personnalités, vous pouvez avoir un point d’équilibre plus romain ou un point d’équilibre plus catholique. Certainement, ce que nous observons, surtout chez le pape François, c’est un désir intentionnel d’élargir la catholicité – pas au point cependant de briser l’aspect romain, sinon nous aurions la fin du catholicisme romain. Il pourrait y avoir un moment dans l’Église catholique romaine où ce que fait le pape François en promouvant la catholicité va nécessiter un mouvement inverse vers une position plus romaine.
Dominic Steele : Je relierais à cela cette note de George Pell3 critiquant François, cette note anonyme disant essentiellement : « Reviens à Rome, reviens à Rome, nous voulons moins de cette catholicité syncrétique! »
Léonardo de Chirico : Oui, c’est une sorte de voix « prophétique » catholique souhaitant que ce courant inverse se produise.
Dominic Steele : En fait, j’ai été assez surpris… Même si Pell l’a fait sous couvert d’anonymat, j’ai été surpris que quelqu’un soit prêt à dire que le pape a tort. Nous sommes habitués à cela dans l’église anglicane, mais pas dans l’église catholique…
Léonardo de Chirico : Oui, il y a eu des tentatives de la part d’autres cardinaux pour envoyer le message d’une « correction fraternelle » – c’est le terme technique -, et le pape n’a jamais répondu à ces voix. Et il y a eu d’autres voix qui ont essayé de soulever certains problèmes, mais jusqu’à présent, elles n’ont pas été entendues.
Comment nos églises peuvent rejoindre les catholiques romains
Dominic Steele : Dans notre église, nous avons demandé au personnel de planifier l’année, nous avons parlé du ministère et du contact avec les divorcés, nous avons parlé de rejoindre ceux qui sont attirés par les personnes de même sexe, nous avons parlé de tendre la main aux jeunes, aux enfants,… mais, vous savez, nous n’avons jamais parlé des catholiques romains et pourtant, même si nous n’en avons pas autant que vous, nous en avons pas mal. Que faire en tant que pasteur principal (et nous avons beaucoup de pasteurs principaux qui nous regardent, nous écoutent) ? Quelles choses stratégiques nous encourageriez-vous à faire alors que nous organisons ensemble notre vie d’église ? Commençons par vous, Rachel !
Rachel Ciano : Je voudrais encourager tous les membres d’église à s’engager activement avec leurs communautés. En faisant cela, ils rencontreront naturellement des personnes issues de l’église catholique romaine. Donc, en invitant ces gens, en tant qu’églises, nous devons réfléchir stratégiquement aux choses que nous disons et faisons. Visuellement, que se passe-t-il à travers le regard d’une personne catholique qui pourrait nous rejoindre ? Ainsi par exemple la Cène du Seigneur : l’Eucharistie, dans le système catholique romain, est le point culminant, c’est le centre de la vie chrétienne et donc, pour que nous ne soyons pas perçus comme une secte, le fait de participer régulièrement à la Cène du Seigneur donne du poids à nos rassemblements chrétiens. Je pense que prêcher de manière systématique est quelque chose qui peut être très puissant pour les catholiques car ils sont souvent habitués à des versets tirés des textes, et à une lecture « à quatre sens » des Écritures 4 dont vous savez qu’elle peut être allégorique et moral. Donc pendant que vous prêchez, vous expliquez : qu’est-ce que cela signifie ?…
Dominic Steele : J’ai été choqué, j’ai lu toutes les lectures du dimanche dans le lectionnaire catholique romain ( je ne savais pas que c’était l’année A, B ou C dans le cycle des lectures), mais je n’ai pas pu trouver la grâce dans toutes les lectures de l’année. Et j’ai pensé : Ils ont tellement trié !… Je ne sais pas comment on peut choisir pour une année 52 textes de l’Ancien Testament, 52 textes du Nouveau Testament, 52 textes des évangiles… et il n’y a pas la grâce ?
Léonardo de Chirico : Oui, parce que l’accent n’est pas mis sur la grâce : l’accent est mis sur l’Église qui vous administre ce que vous avez besoin d’entendre et de savoir, et qui vous amène ainsi à recevoir la grâce sacramentelle que l’Église administre. En fait, techniquement parlant, la messe n’a pas besoin, pour être faite, d’une homélie : elle a besoin de l’Eucharistie, et elle est basée non pas sur quelque chose que tu entends, quelque chose que tu écoutes mais elle est basée sur quelque chose que tu goûtes. Et quand tu vois, quand tu regardes leurs gestes, il y a là toutes sortes de rituels, mais le message de la grâce qui nous a été enseigné dans les Écritures et qui nous a été prêché, n’est pas au centre de l’attention. Et même la manière dont les lectures sont choisies ne semble pas se concentrer sur la grâce.
Dominic Steele : Revenons à cette question de l’organisation de l’église, que je viens de poser à Rachel : Quelles sont vos idées quand vous planifiez votre vie d’église ? Vous êtes pasteur d’une église, vous, que faites-vous ?
Léonardo de Chirico : Eh bien, pour nous, vous savez, il ne s’agit pas tant d’avoir un plan précis, que d’organiser la vie de l’église pour qu’elle soit une église accueillante et une église consciente de certains problèmes que rencontrent les gens venant d’un arrière-plan catholique. Par exemple dans la prédication, ils ne sont pas habitués à avoir de longs sermons, vous savez : une homélie typique dans l’église catholique romaine est une homélie de huit minutes… et moi je pense que nous devrions avoir un sermon plus long, mais nous ne devrions pas présumer que les gens sont habitués à écouter des sermons plus longs. Et donc, en tant que prédicateurs, nous devons en être conscients. Je ne veux pas dire que nous devons restreindre notre temps mais nous devons être conscients de ne pas en faire trop. Et alors que nous prêchons, c’est bon pour eux d’écouter la Parole de Dieu, mais pendant que nous prêchons la Bible, nous devrions trouver des moyens de souligner la finalité de l’Écriture, le fait que ceci est la Parole de Dieu et que ce n’est pas juste un conseil divin ou quelque chose qui fait partie de ce que l’église vous dit de faire : c’est la Parole de Dieu. Nous devons les aider à apprécier le fait que nous accueillons la Parole de Dieu comme notre autorité finale et comme les paroles du Seigneur pour nous. Et aussi nous devons organiser notre vie d’église de telle manière à démontrer que nous sommes une communauté, nous sommes un corps, nous sommes une famille. Ce n’est pas seulement un groupe de croyants individuels qui se réunissent au hasard un dimanche matin ou un dimanche soir, mais nous sommes une famille. Ceci parle aux catholiques, et plus que des mots, au début de leur rapprochement avec la foi : ils voient que l’Évangile façonne les communautés et pas seulement les individus. Ils voient que l’Évangile est prêché à partir de la Bible, à travers la Bible, avec la Bible et non par une voix d’autorité vous disant de l’extérieur quoi faire et pourquoi.
Écueils de la doctrine mariale et trinitaire
Dominic Steele : J’entendais quelque part que la promotion de Marie se fait aux dépens du Saint-Esprit. Voulez-vous simplement développer cet aspect et donc aussi la doctrine erronée de la Trinité ?
Léonardo de Chirico : Oui, l’une des conséquences de l’explosion de la mariologie au fil des siècles a été que le rôle du Saint-Esprit a été diminué parce que, comme l’a dit Rachel plus tôt, pour vous approcher du Christ, c’est Marie qui vous aide à le faire. Mais c’est exactement ce que le Saint-Esprit fait pour nous, nous liant au Christ, nous ouvrant la relation avec le Christ. Et ainsi, l’Esprit a été mis en quelque sorte à la marge et Marie est devenue une sorte de remplaçante du Saint-Esprit. Et non seulement du Saint-Esprit mais aussi du Christ lui-même, car le Christ a alors été considéré comme trop élevé, trop divin, trop glorieux, trop lointain, trop divin et Marie a été présentée comme la mère, l’aidante. Il y a une phrase intéressante, non pas du pape François mais du pape Benoît qui est souvent considéré comme plus biblique, plus christocentrique. Il a dit dans une des interviews qu’il a accordées à Peter Seewald, le journaliste allemand l’interrogeant sur sa spiritualité mariale, il a dit : « Jésus est proche, Marie est plus proche ».5 C’est aussi un énorme problème christologique parce que si Marie est plus proche que Jésus, nous sapons en fait la pleine humanité de Jésus et nous rejetons le Saint-Esprit, le rendant superflu, et nous sapons l’humanité de Jésus. Nous avons donc affaire à une question trinitaire, et pas seulement à une question mariologique.
- Ga 1, 6-9: « Je m’étonne que vous vous détourniez si promptement de celui qui vous a appelés par la grâce de Christ, pour passer à un autre Évangile. Non pas qu’il y ait un autre Évangile, mais il y a des gens qui vous troublent, et qui veulent renverser l’Évangile de Christ. Mais, quand nous-mêmes, quand un ange du ciel annoncerait un autre Évangile que celui que nous vous avons prêché, qu’il soit anathème ! Nous l’avons dit précédemment, et je le répète à cette heure : si quelqu’un vous annonce un autre Évangile que celui que vous avez reçu, qu’il soit anathème ! »
- Ph 1, 15-18: « Quelques-uns, il est vrai, prêchent Christ par envie et par esprit de dispute; mais d’autres le prêchent avec des dispositions bienveillantes. Ceux-ci agissent par amour, sachant que je suis établi pour la défense de l’Évangile, tandis que ceux-là, animés d’un esprit de dispute, annoncent Christ par des motifs qui ne sont pas purs et avec la pensée de me susciter quelque tribulation dans mes liens. Qu’importe ? De toute manière, que ce soit pour l’apparence, que ce soit sincèrement, Christ n’est pas moins annoncé : je m’en réjouis, et je m’en réjouirai encore. »
- George Pell (1941-2023) était un cardinal australien, connu pour ses positions conservatrices et un des hommes les plus influents du Vatican.
- Le Catéchisme de l’Église catholique donne un bref aperçu de ces « quatre sens des Écritures: « Selon une tradition ancienne, on peut distinguer deux sens de l’Écriture : le sens littéral et le sens spirituel, ce dernier se subdivisant en sens allégorique, moral et anagogique. » (CEC §115)
- Cf. homélie du pape Benoit XVI, 15 aout 2012 : « Marie, entièrement unie à Dieu, a un cœur si grand que toute la création peut entrer dans ce cœur, et les ex-voto partout sur la terre le démontrent. Marie est proche, elle peut écouter, elle peut aider, elle est proche de chacun de nous. En Dieu, il y a de la place pour l’homme, et Dieu est proche et Marie, unie à Dieu, est très proche, elle a un cœur aussi large que celui de Dieu. »