Nous ouvrons aujourd’hui un dossier sur le thème de la papauté et nous ne pouvons pas aborder ce thème sans d’abord examiner le rôle que l’institution catholique attribue à l’apôtre Pierre dans la fondation de l’Église : selon le texte de Mt 16, 18, il serait le « roc » sur lequel Jésus a bâti son Église.
Rappel méthodologique: comme pour chacun des articles de ce dossier, nous commencerons par rappeler l’enseignement catholique officiel tel qu’il est résumé dans le Catéchisme de l’Église Catholique, plus exactement dans sa dernière édition, achevée et approuvée par le pape Jean-Paul II en 1992. Ce dernier a décrit le Catéchisme comme un « texte de référence sûr et authentique pour l’enseignement de la doctrine catholique »1. C’est donc à bon droit que nous nous y référerons (chaque citation étant précédée du sigle CEC, pour « Catéchisme de l’Église Catholique », et du numéro du paragraphe concerné). Quant aux citations bibliques, elles sont extraites de la Bible de Jérusalem, qui est une bible catholique. Il suffit de cliquer sur les références pour voir apparaitre le texte correspondant.
Il faut garder à l’esprit que dans tous ces textes doctrinaux, le mot « Église », même s’il est utilisé sans qualificatif, doit être compris au sens de « Église catholique », puisque dans l’optique du Magistère, la seule et véritable Église du Christ est l’institution catholique romaine.
Nous rappellerons donc l’enseignement officiel du magistère sur notre sujet, puis nous le confronterons à la lumière de la Parole de Dieu.
Voici quelques extraits du Catéchisme qui formulent clairement cette doctrine:
CEC 552 : Grâce à une révélation venant du Père, Pierre avait confessé : « Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant ». Notre Seigneur lui avait alors déclaré : « Tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Église, et les portes de l’Hadès ne tiendront pas contre elle » (Mt 16, 18). Le Christ, « Pierre vivante » (1 P 2, 4), assure à son Église bâtie sur Pierre la victoire sur les puissances de la mort.
CEC 881 : Le Seigneur a fait du seul Simon, auquel il donna le nom de Pierre, la pierre de son Église.
Mais que nous dit la parole de Dieu ? L’apôtre Pierre est-il, oui ou non, le Roc sur lequel a été bâtie l’Église ?
Pour commencer, nous vous invitons à revenir au texte de l’évangile de Mathieu qui est cité ici :
Arrivé dans la région de Césarée de Philippe, Jésus posa à ses disciples cette question : « Au dire des gens, qu’est le Fils de l’homme? » Ils dirent : « Pour les uns, Jean le Baptiste; pour d’autres, Elie; pour d’autres encore, Jérémie ou quelqu’un des prophètes ». Mais pour vous, leur dit-il, qui suis-je ? Simon-Pierre répondit : « Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant. » En réponse, Jésus lui dit : « Tu es heureux, Simon fils de Jonas, car cette révélation t’est venue, non de la chair et du sang, mais de mon Père qui est dans les cieux. Eh bien ! moi je te dis : Tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Église, et les Portes de l’Hadès ne tiendront pas contre elle.
Cependant, plusieurs éléments, dans ce passage, et dans d’autres passages bibliques, contredisent une telle interprétation.
1. Le texte original en grec koinè emploie deux mots distincts : Petros et petra
Rappelons que le Nouveau Testament a été écrit dans la langue du Grec Koinè (qui, depuis le IVème siècle avant JC, s’était imposé dans tout l’Empire comme le dialecte grec le plus communément utilisé, tant à l’oral qu’à l’écrit). Or, on a beaucoup épilogué sur la différence de mots que Jésus emploie dans ce passage : Petros, pour désigner Pierre (rappelons que Jésus a donné ce nom à Simon, lors de leur première rencontre selon 2 établissent une nuance de sens entre ces deux mots : le mot petros renverrait à une pierre détachée et de plus petite taille, tandis que petra renverrait à une roche massive et inamovible, « encastrée » dans une falaise comme une caverne, ou fondamentale comme un terrain rocheux. Il est difficile de vérifier la nuance de petros dans la bible puisqu’il n’est utilisé dans le Nouveau Testament que comme surnom de Pierre et non pas comme un nom commun. En revanche, on voit clairement que le mot petra est effectivement utilisé dans le sens décrit ci-dessus. On le retrouve ainsi dans la parabole de l’homme sensé qui a bâti sa maison sur le roc ( et ), ou dans la parabole du Semeur, avec l’évocation des graines tombées sur le roc ( ). Le mot petra évoque bien l’idée d’un terrain ou d’un rocher stable.
), et petra pour parler de cette pierre/fondement de l’église. Les spécialistesOutre la nuance probable entre les deux mots, il est incontestable que dans le texte original des évangiles, qui est donc en Grec koinè, Jésus emploie bien deux mots, l’un masculin (Petros), l’autre féminin (petra), qui sont apparentés mais distincts. Certes, dans la langue araméenne dans laquelle Jésus s’exprimait, il n’y a qu’un seul mot : Céphas (ou Képhas). De même, en français, nous avons un seul mot : pierre. Dans ces deux langues, le jeu de mots de Jésus est encore plus prononcé et milite apparemment en faveur d’une identification complète entre la personne de Pierre et la pierre de fondement de l’Église. Néanmoins, encore une fois, ce n’est pas le cas pour le Grec Koinè dans lequel les textes bibliques inspirés nous ont été transmis. Une telle identification ne colle donc pas au texte tel que Dieu a voulu qu’il soit écrit.
2. Le focus de ce passage est sur la profession de foi de Pierre et non sur sa personne
Il nous faut garder à l’esprit la question centrale que Jésus pose à ses disciples dans ce chapitre 16 :
Jésus posa à ses disciples cette question : « Au dire des gens, qu’est le Fils de l’homme ? » Ils dirent : « Pour les uns, Jean le Baptiste; pour d’autres, Elie; pour d’autres encore, Jérémie ou quelqu’un des prophètes. » – « Mais pour vous, leur dit-il, qui suis-je ? »
Tu es heureux, Simon fils de Jonas, car cette révélation t’est venue, non de la chair et du sang, mais de mon Père qui est dans les cieux.
Puis Jésus affirme solennellement que c’est sur cette révélation du Père, déposée dans le cœur de Pierre en premier, et par la suite dans le cœur de tout homme confessant le Fils de Dieu, qu’il va pouvoir construire son Église. Remarquons en passant que Jésus parle au futur : « je bâtirai mon église ». Cette prophétie se réalisera à la Pentecôte, avec la descente du Saint-Esprit sur un peuple de croyants. Il fallait cette foi en la divinité de Jésus pour que l’Église naisse, et Pierre n’est que le premier à la confesser de sa bouche.
Notons qu’à la fin du passage, au verset 20, on insiste à nouveau sur la révélation sortie de la bouche de Pierre : « Alors il ordonna aux disciples de ne dire à personne qu’il était le Christ ».
Cela confirme que, dans ce passage, le focus n’est pas tant sur la personne de Pierre que sur sa profession de foi en la divinité de Jésus, et c’est bien dans cette lumière que le verset 18 (« Tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Église ») doit être compris.
3. Une profession de foi intemporelle, un homme inconstant
Remarquons également que, dans la suite immédiate de ce passage, c’est-à-dire au verset 23, Jésus corrige sévèrement Pierre qui venait de s’opposer à l’annonce de sa Passion :
Mais lui (Jésus), se retournant, dit à Pierre : Passe derrière moi, Satan ! tu me fais obstacle, car tes pensées ne sont pas celles de Dieu, mais celles des hommes !
4. Le catéchisme reconnait que le Roc désigne la profession de foi de Pierre
Saviez-vous que l’église catholique elle-même reconnait que le véritable Roc n’est pas Pierre dans sa fragile humanité, mais sa confession de foi, fruit d’une révélation divine ? Dans son catéchisme, elle valide sans détour l’interprétation selon laquelle le Roc est la profession de foi en la divinité du Christ :
CEC 424 : Mûs par la grâce de l’Esprit Saint et attirés par le Père nous croyons et confessons au sujet de Jésus : « Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant » (Mt 16, 16). C’est sur le roc de cette foi, confessée par S. Pierre, que le Christ a bâti son Église.
5. Les Écritures établissent clairement le fondement de l’Église
Les Écritures dans leur ensemble sont claires quant au fondement de l’Église.
Selon la bible, l’unique fondement de l’Église, c’est Jésus :
Selon la grâce de Dieu qui m’a été accordée, tel un bon architecte, j’ai posé le fondement. Un autre bâtit dessus. Mais que chacun prenne garde à la manière dont il y bâtit. De fondement, en effet, nul n’en peut poser d’autre que celui qui s’y trouve, c’est-à-dire Jésus-Christ.
Car la construction que vous êtes a pour fondations les apôtres et prophètes.
Au sein de cette fondation, Christ est la « pierre d’angle » [Akrogoniaios], déjà prophétisée dans l’Ancien Testament :
La pierre qu’ont rejetée les bâtisseurs est devenue la tête de l’angle ; c’est là l’œuvre de Yahvé, ce fut merveille à nos yeux.
C’est lui [Jésus] la pierre que vous, les bâtisseurs, avez dédaignée, et qui est devenue la pierre d’angle.
Car la construction que vous êtes a pour fondations les apôtres et prophètes, et pour pierre d’angle le Christ Jésus lui-même.
Approchez-vous de lui, la pierre vivante, rejetée par les hommes, mais choisie, précieuse auprès de Dieu (…). Car il y a dans l’Ecriture: Voici que je pose en Sion une pierre angulaire, choisie, précieuse, et celui qui se confie en elle ne sera pas confondu. [Is 28, 16] A vous donc, les croyants, l’honneur, mais pour les incrédules, la pierre qu’ont rejetée les constructeurs, celle-là est devenue la tête de l’angle, une pierre d’achoppement et un rocher qui fait tomber. [Is 8, 14] Ils s’y heurtent parce qu’ils ne croient pas à la Parole; c’est bien à cela qu’ils ont été destinés.
Nous, les croyants, sommes tous les « pierres vivantes » [Lithos] de l’Église.
Vous-mêmes, comme pierres vivantes, prêtez-vous à l’édification d’un édifice spirituel, pour un sacerdoce saint, en vue d’offrir des sacrifices spirituels, agréables à Dieu par Jésus Christ.
CONCLUSION
- Le Roc [Petra] sur lequel Jésus a bâti son Église est la foi que nous plaçons en lui.
Nous recevons cette foi par révélation et/ou par la prédication de la Parole. Elle est solide, et même inébranlable, parce que Dieu et sa Parole ne passent pas. Comme le rappelle Pierre dans sa 1ère épitre, c’est la « Parole de Dieu, vivante et permanente »:
Car toute chair est comme l’herbe et toute sa gloire comme fleur d’herbe ; l’herbe se dessèche et sa fleur tombe ; mais la Parole du Seigneur demeure pour l’éternité. C’est cette Parole dont la Bonne Nouvelle vous a été portée. ».
Qui donc est Dieu, hors Yahvé, qui est Rocher, sinon notre Dieu ?
Qui croit en lui ne sera pas confondu.
Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils unique afin que quiconque croit en lui ne se perde pas, mais ait la vie éternelle.
- Posée sur le Roc de la foi, l’Église s’est édifiée sur une fondation [Thémélios] unique : Christ lui-même, et le témoignage que lui ont rendu les apôtres et les prophètes.
Les apôtres du Christ ont eu le rôle de « déposer » Christ dans l’âme des croyants de leur génération, et ensuite dans l’âme de « tous ceux qui, grâce à leur parole », croiraient en Christ (cf.
). Pierre a éminemment participé à cette fondation, comme un des ouvriers majeurs de ce témoignage apostolique. Il est nommé comme une des « colonnes » de l’Église, à côté de Jacques et de Jean (cf. ). Nous voulons rester fermement attachés à ce témoignage, tel qu’il a été consigné pour nous dans les Écritures.
- Au cœur de cette fondation, Christ est la pierre d’angle
Jésus est « Akrogoniaios », la pierre maitresse, la pierre parfaite sur laquelle tout l’édifice trouve son équilibre et sa force:
En lui, toute construction s’ajuste et grandit en un temple saint, dans le Seigneur.
De même qu’une pierre angulaire unit les murs d’un bâtiment, de même Christ, par son sacrifice à la Croix, a rassemblé en lui, dans une même demeure, les « deux peuples » qui étaient autrefois séparés par une barrière de haine et de préceptes : les Juifs et les païens. (cf.
; ). Tous les croyants sont intégrés à un unique Temple saint.Cette pierre qui est gage d’unité et de solidité pour tous ceux qui croient en Christ, est en même temps une pierre qui fait trébucher. Elle fait buter ceux qui « au lieu de recourir à la foi, comptaient sur les œuvres » (
). « Ils s’y heurtent parce qu’ils ne croient pas à la Parole ; c’est bien à cela qu’ils ont été destinés. » (1 Pierre 2, 8)Enfin, cette « Akrogoniaios », selon son étymologie (Akron, qui signifie extrémité et gonia, qui signifie angle), est la pierre qui est placée à l’angle, et qui est également dans la position la plus élevée. Il est dit aussi, en
et , que Jésus est « la principale de l’angle » ou « tête de l’angle », c’est-à-dire la pierre qui est mise au sommet, pour soutenir l’ensemble. D’ailleurs dans l’Ancien Testament, l’« angle » peut désigner le chef, le mot hébreu Pinnah signifant en sens littéral : le coin, l’angle, et en sens figuré : le gouvernant, le chef (cf. ; ). En somme, Christ « pierre d’angle » est à la fois la base qui porte tout l’édifice, et le sommet de l’édifice. Il est Fondement et Chef de l’Église. A lui soient la gloire, l’honneur et l’obéissance !
- Nous sommes, chacun pour notre part, une des pierres [Lithos] qui édifient l’Église
Jean Baptiste avertissaient ceux qui venaient à lui pour recevoir le baptême mais sans manifester de repentir :
N’allez pas dire en vous-mêmes : Nous avons pour père Abraham. Car je vous dis que Dieu peut, des pierres que voici, faire surgir des enfants à Abraham.
Vous êtes une race élue, un sacerdoce royal, une nation sainte, un peuple acquis, pour proclamer les louanges de Celui qui vous a appelés des ténèbres à son admirable lumière, vous qui jadis n’étiez pas un peuple et qui êtes maintenant le Peuple de Dieu, qui n’obteniez pas miséricorde et qui maintenant avez obtenu miséricorde.
Faisons donc monter vers Dieu nos louanges pour la grâce qu’il nous fait de devenir « pierres vivantes », à l’imitation de Jésus qui est « la pierre vivante » (
).
- Constitution Apostolique « Fidei depositum », placée en introduction du Catéchisme.
- Nous renvoyons par exemple au Commentaire de l’Évangile de Mathieu, par Bob Utley, professeur en bible et herméneutique, en particulier sur ce verset de Mt 16:18 (cf. ce commentaire p. 365-366):
-“Pierre” : C’est le terme Grec “Petros,” un NOM/SUBSTANTIF MASCULIN. Il réfère à un rocher/ roc détaché. Pour la plus grande partie de sa vie (cfr. Matth. 16:22,23; Marc 14), il était tout sauf un “roc/une pierre”!
-“sur cette pierre” : C’est le terme Grec “petra,” un NOM/SUBSTATIF FÉMININ. Il réfère à la roche de fond (cfr. Matth. 7:24). Ces deux termes (petros et petra) ne peuvent pas être liés grammaticalement l’un à l’autre en raison de leur genre. Les disciples ne considérèrent pas cela comme une référence à la supériorité de Pierre, car ils continuèrent à se disputer pour savoir qui était le plus grand d’entre eux (cfr. Matth. 18:1,18; Jean 20:21). En Grec, ces deux termes sont liés mais distincts. Il y a un jeu de mot évident entre la foi de Pierre et celle de tous les apôtres. Par contre, en Araméen, il n’y a qu’un seul terme, “kepha” (“Cephas,” cfr. Jean 1:42; 1 Cor. 1:12; 3:22; 9:5; 15:5) pour les deux termes Grecs qui signifient “roc/pierre.” Jésus parlait l’Araméen mais ses paroles sont rapportées en Grec par des auteurs inspirés. Par conséquent, nous devons considérer le texte Grec, et non une supposée déclaration Araméenne. »
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